Personne : de l’intérêt légitime à s’appeler d’Artagnan
Dans un arrêt rendu le 29 avril 2013, le Conseil d’État a apporté plusieurs précisions sur la procédure de changement de nom de famille.
En l’espèce, plusieurs descendants de Charles de Batz-Castelmore, plus connu notamment dans l’oeuvre romanesque d’Alexandre Dumas sous le nom de d’Artagnan, avaient saisi le Conseil d’État d’une requête tendant à l’annulation du décret ayant autorisé des membres de la famille de Montesquiou-Fezensac à substituer à leur nom celui de « de Montesquiou-Fezensac d’Artagnan ».
Le Conseil d’État a tout d’abord indiqué que « la reprise d’un nom en raison de son illustration peut être demandée au titre de l’intérêt légitime mentionné au premier alinéa de l’article 61 du code civil ; que si ce nom doit avoir été porté dans la famille du demandeur par des personnes qui ont contribué à lui conférer une illustration certaine et durable, la reprise du nom n’est pas subordonnée à la condition que le demandeur soit leur seul descendant ». En l’espèce, après avoir constaté que plusieurs ancêtres de la famille de Montesquiou-Fezensac, dont les bénéficiaires du décret attaqué étaient des descendants en ligne directe ou collatérale, s’étaient illustrés sous le nom de d’Artagnan, les juges du Palais-Royal ont considéré qu’ils disposaient dès lors d’un intérêt légitime à accoler le nom de « d’Artagnan » à leur nom patronymique.
Se prononçant sur la procédure mise en oeuvre, le Conseil d’État a précisé « qu’il résulte des articles 2, 3 et 5 du décret du 20 janvier 1994 [relatif à la procédure de changement de nom] que la formalité de publication au Journal officiel et dans un journal d’annonces légales de l’arrondissement de résidence du demandeur est destinée à permettre à d’éventuelles oppositions de se manifester, dans le délai prévu par l’article 5, et ce, afin que l’autorité compétente puisse se prononcer en connaissance de cause sur le changement de nom sollicité ». En l’espèce, il a constaté qu’en ce qui concerne M. Alexandre de Montesquiou-Fezensac et ses trois enfants, il n’avait pas été procédé, avant le décret attaqué, à une publication régulière dans un journal d’annonces légales de l’arrondissement de résidence du demandeur. Il a par conséquent annulé le décret en considérant « que cette irrégularité ne peut être regardée comme insusceptible d’avoir eu une incidence sur le sens de la décision prise ».

Divorce :  terme de la pension alimentaire
La pension alimentaire allouée pendant la procédure de divorce prend fin à la date à laquelle le divorce devient irrévocable. Elle ne cesse d’être due qu’à l’issue du délai ouvert pour former un pourvoi contre la disposition de l’arrêt qui a confirmé le jugement de divorce.
À quel moment prend fin la pension alimentaire allouée pendant la procédure de divorce ? C’est à cette question pratique que répond le présent arrêt de cassation du 15 mai 2013 en précisant le terme de la pension alimentaire allouée pendant la procédure de divorce.
En l’espèce, après le prononcé du divorce d’un couple, des difficultés sont nées pour la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux. La cour d’appel de Douai (Douai, 26 sept. 2011) a décidé que le conjoint était créancier de son épouse à hauteur d’une certaine somme au titre d’un trop versé de pension alimentaire, pour la période allant de l’ordonnance de non-conciliation à la date à laquelle le divorce a été prononcé. Dit autrement, pour la cour d’appel, le versement de la pension alimentaire a pris fin à la date à laquelle le divorce a été prononcé.
Mais ce raisonnement est censuré par la première chambre civile. Au visa des articles 254 et 255 du code civil ainsi que des articles 1121 et 1122 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-739 du 26 mai 2004, la Cour de cassation rappelle que la pension alimentaire allouée pendant la procédure de divorce prend fin à la date à laquelle le divorce devient irrévocable et précise que la pension alimentaire ne cesse d’être due qu’à l’issue du délai ouvert pour former un pourvoi contre la disposition de l’arrêt qui a confirmé le jugement ayant prononcé le divorce des époux.
Fondée sur le devoir de secours, la pension alimentaire allouée pour la durée de l’instance ne peut cesser d’être due tant que le lien conjugal n’est pas rompu. L’irrévocabilité qui se matérialise par l’expiration du délai du pourvoi ou dès la date du rejet du pourvoi constitue la fin du procès en divorce et marque ainsi la fin des mesures qui ont été prescrites pour la durée de la procédure de divorce.
Notons que la détermination de cet élément temporel qui consiste à fixer le terme de la créance de la pension alimentaire allouée pendant la procédure de divorce a des incidences pratiques sur la délicate question de l’articulation entre la pension alimentaire allouée au titre des mesures provisoires pour la durée de la procédure de divorce et la prestation compensatoire.

Mariage : changement de régime matrimonial : fondement de l’action en nullité
À défaut d’invoquer un vice du consentement ou une fraude, aucun des deux époux ne peut contester un changement de régime matrimonial qui a produit effet sur le fondement de l’article 1397 du code civil.
La première chambre civile est revenue, avec son arrêt du 29 mai 2013, sur les motifs qui peuvent être invoqués dans le cadre d’une action en nullité d’un changement ou d’une modification de régime matrimonial intentée par l’un des deux époux. Dans cette espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient convenu, par acte notarié reçu un peu plus de deux ans après leur union, d’adjoindre une société d’acquêts à leur régime. Il était établi que seul le mari apporterait à la société des biens présents qui ont été désignés ainsi que les acquêts à venir, l’épouse ne contribuant quant à elle aucunement à l’extension de cette société. Quinze mois après l’acte notarié, l’époux a assigné sa conjointe aux fins de voir prononcer la nullité de la modification du régime. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie de cette affaire, a fait droit à cette demande dans son arrêt du 24 mai 2011. Sa décision était motivée, au regard de l’article 1397 du code civil, par le fait que la modification du régime matrimonial n’était pas conforme à l’intérêt de la famille, la société d’acquêt ne satisfaisant que les seuls intérêts de l’épouse tout en étant excessivement défavorable au mari. Cette décision a été censurée au visa des articles 1108, 1134 et 1397 du code civil, la première chambre civile considérant qu’un changement de régime matrimonial ayant produit ses effets s’impose à chacun des époux, ce dont il résulte qu’à défaut d’invoquer un vice du consentement ou une fraude, aucun d’eux ne peut être admis à le contester sur le fondement de l’article 1397. Son arrêt permet de revenir sur deux points, qui tiennent à l’appréciation de l’intérêt de la famille et aux motifs qui peuvent être invoqués par les époux pour remettre en cause une modification de leur régime matrimonial.
S’agissant du premier point, l’article 1397 du code civil impose que le changement ou la modification de régime matrimonial soit réalisé dans l’intérêt de la famille, étant précisé que cet intérêt doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble. Le seul risque de lésion des intérêts de l’un des membres de la famille n’interdit pas nécessairement la modification (même arrêt), sauf si la mesure apparaît trop défavorable à l’un des époux. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt présenté montrent bien l’existence d’une possible contrariété de la modification du régime matrimonial à l’intérêt de la famille, qui réside dans l’obligation du seul mari de pourvoir en biens la société d’acquêts instituée. La première chambre civile a toutefois éludé cette question, prenant acte de la prise d’effet de la modification du régime matrimonial pour placer le débat sur le terrain des causes de nullité.
S’agissant des causes de remise en question du changement ou de la modification du régime matrimonial, l’article 1397 du code civil offre plusieurs voies de recours aux membres de la famille autres que les conjoints et aux créanciers du couple, notamment l’opposition et l’action paulienne. La question était posée de savoir si ces recours étaient également ouverts à l’époux qui entendait attaquer la modification à laquelle il avait consenti, notamment en raison d’une contradiction à l’intérêt de la famille. La première chambre civile y a répondu négativement. Elle s’est appuyée sur la nature contractuelle du changement de régime matrimonial pour, d’une part, rappeler que cette mesure prend effet entre les époux à la date de l’acte ou du jugement qui la prévoit et, d’autre part, cantonner les motifs de nullité susceptibles d’être invoqués par l’un des époux à l’encontre de l’acte à ceux issus de la théorie des vices du consentement et de la fraude. L’époux qui entend attaquer une modification du régime matrimonial à laquelle il a consenti et qui a pris effet ne peut donc fonder sa demande sur l’article 1397 du code civil. Il est tenu de rapporter la preuve d’une erreur sur la substance, d’un dol ou d’une violence.

Filiation :

L’anonymat du donneur de gamètes est compatible avec les dispositions conventionnelles
Dans un avis du 13 juin 2013, le Conseil d’État juge compatibles avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) les règles interdisant au receveur et à l’enfant né d’un don de gamètes d’accéder aux données permettant d’identifier le donneur.
Deux questions étaient soumises à l’examen du Conseil d’État par le tribunal administratif de Paris (21 sept. 2012, req. n° 1121183/7-1). La première portait sur la compatibilité avec les articles 8 et 14 de la Conv. EDH des règles d’accès aux données non identifiantes de nature médicale. Les articles L. 1244-6 et L. 1131-1-2 du code de la santé publique organisent deux dérogations permettant à un médecin, pour raisons médicales, d’accéder à des données non identifiantes.
S’il est vrai, estime la haute assemblée, qu’en application de ces dispositions, « la plupart de ces données médicales ne sont accessibles qu’au médecin et non à la personne elle-même, la conciliation des intérêts en cause ainsi opérée et la différence de traitement entre le médecin et toute autre personne relèvent de la marge d’appréciation » réservée au législateur par l’article 8 de la Conv. EDH, « eu égard notamment aux inconvénients que présenterait la transmission de ces données aux intéressés eux-mêmes par rapport aux objectifs de protection de la santé, de préservation de la vie privée et de secret médical ». Par suite, les règles nationales ne sont pas incompatibles avec l’article 8 de la Convention.
S’agissant de la discrimination fondée sur la naissance résultant de ces dispositions, qui auraient pour effet de traiter différemment les enfants issus d’un don de gamètes et les autres enfants, le Conseil d’État considère que ceux-ci ne se trouvent pas dans des situations comparables et qu’en outre, il n’existe pas pour les autres enfants « un droit à l’accès à des données non identifiantes de nature médicale ». Aucune discrimination ne frappe donc l’enfant issu d’un don de gamètes.
La seconde question portait sur la compatibilité avec l’article 8 de l’interdiction de communiquer au receveur d’un don de gamètes les informations permettant d’identifier l’auteur de ce don, même en cas d’accord de ce dernier. Le Conseil d’État considère que cette règle répond « à l’objectif de préservation de la vie privée du donneur et de sa famille » et, s’agissant du couple receveur, « à l’objectif de respect de la vie familiale au sein de la famille légale de l’enfant conçu à partir de gamètes issus de ce don, étant toutefois précisé que s’agissant du receveur, cette règle de l’anonymat ne saurait, en tout état de cause, être constitutive d’une atteinte à la vie privée ».
S’agissant de la personne issue d’un don de gamètes, le Conseil d’État estime que, même si elle « s’oppose à la satisfaction de certaines demandes d’information », la règle de l’anonymat « n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée et familiale de la personne ainsi conçue, d’autant qu’il appartient au demeurant aux seuls parents de décider de lever ou non le secret sur la conception de cette personne ».
Le Conseil d’État juge donc compatible avec l’article 8 de la Conv. EDH l’anonymat du don de gamètes.

Refus de se soumettre à une expertise biologique et preuve de la filiation
C’est sans méconnaître le droit à un procès équitable qu’une cour d’appel tire la preuve de la paternité d’un homme de son refus de se soumettre à une expertise biologique sans motif légitime corroboré par divers témoignages.
Aux termes du second alinéa de l’article 310-3 du code civil, « si une action est engagée en application du chapitre III du présent titre, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens ». Cette disposition est complétée par une célèbre règle prétorienne, selon laquelle « l’expertise biologique est de droit en matière de filiation sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ». L’arrêt présenté invite à revenir sur les conséquences du refus d’une personne de se soumettre à une expertise biologique.
Le 14 septembre 2006, un homme est assigné par la mère d’un enfant, né le 1er octobre 1996, aux fins d’établissement de la filiation. Le tribunal de grande instance saisi rend un jugement avant dire droit le 19 juillet 2007 et ordonne une expertise biologique. Le père désigné de l’enfant refuse de s’y soumettre. Un jugement du 16 décembre 2010 reconnaît l’existence d’un lien de filiation entre l’homme et l’enfant. Après confirmation en appel, l’homme s’est pourvu en cassation. Il considère que les juges ne pouvaient pas déclarer sa paternité. Consécutivement, l’auteur du pourvoi estime qu’il ne pouvait pas être condamné à verser une contribution mensuelle à l’entretien et l’éducation de l’enfant. La Cour de cassation rejette le pourvoi sur ces deux points.
Concernant la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, la Cour de cassation rappelle qu’à défaut pour les parties de justifier de leurs ressources, les juges du fond apprécient souverainement le montant de la contribution du père à l’entretien et l’éducation de son fils en prenant en considération les besoins d’un enfant de quinze ans.
Concernant l’expertise biologique, elle estime « qu’après avoir souverainement analysé la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a, sans méconnaître les  exigences de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, estimé que la preuve de la paternité […] était établie ; que le moyen n’est pas fondé ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante à un double titre.
Tout d’abord, la Cour de cassation abandonne à l’appréciation souveraine des juges du fond la valeur du refus d’un homme de se soumettre à une expertise biologique et des autres éléments de preuve qui leur sont soumis. Le refus doit être complété par des éléments extérieurs dont la preuve peut être rapportée par tous moyens. En l’espèce, la demanderesse rapportait des attestations prouvant ses relations avec le défendeur. La première émanait de la grand-mère de l’enfant qui relate la démarche du père désigné pour que sa fille se fasse avorter et sa présence à l’hôpital lors de la naissance de l’enfant ; la seconde a été établie par la cousine de la mère de l’enfant, affirmant avoir rencontré à plusieurs reprises l’homme dont la paternité est recherchée au domicile de la mère de l’enfant et indique qu’il lui avait été présenté comme étant le père de l’enfant. Pour les juges du fond, ces témoignages corroborent le refus de se soumettre à l’expertise biologique et prouvent la paternité du défendeur.
Ensuite, la Cour de cassation considère qu’en l’espèce, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences de l’article 6, § 1, de la Convention européenne. Cette prise de position n’est pas nouvelle. Dans le passé, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer que la paternité d’un homme pouvait être déduite du refus de celui-ci de se soumettre à une expertise biologique corroborée par des attestations sans que le droit à un procès équitable ne soit méconnu. En l’espèce, le demandeur considère que la proximité des liens familiaux entre la demanderesse et les auteurs des attestations – sa mère et sa cousine – devait conduire à les rejeter, empêchant ainsi les juges du fond d’y trouver des éléments pour corroborer son refus de se soumettre à une expertise biologique. Évidemment, l’article 6, § 1, de la Convention européenne ne pose pas d’exigence d’objectivité en matière de témoignages. La seule règle posée par le code de procédure civile concernant les attestations est que son auteur déclare « son lien de parenté ou d’alliance avec les parties » (C. pr. civ., art. 202, al. 2). Libre ensuite au juge d’apprécier leur valeur.
Si la solution posée par la Cour de cassation est classique, quels moyens pouvaient être invoqués par le demandeur pour se défendre ? Il devait rapporter la preuve d’un motif légitime de ne pas se soumettre à l’expertise biologique tenant par exemple à son impossibilité d’être le père de l’enfant. Pour cela, il devait prouver contre les témoignages rapportés par la mère de l’enfant.