La Turquie a violé le droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme d’une transsexuelle en n’autorisant pas son changement de sexe au motif qu’elle pouvait encore procréer.
Dans quelles conditions devient-on transsexuel ? En 1992, la Cour de cassation avait initié le droit pour un transsexuel d’obtenir la rectification de la mention de son sexe sur son acte de naissance. Depuis l’affaire Goodwin de 2002, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) impose aux États membres dereconnaître l’identité sexuelle de tout transsexuel converti et d’en tirer les conséquences utiles, notamment du point de vue de l’âge de départ à la retraite. La Cour de Strasbourg vient de porter, dans la présente décision, un point décisif à la construction juridique de l’identité des transsexuels et leur reconnait, au nom de la vie privée, un droit au changement de sexe sans condition liée à la stérilité.
Les faits remontent à 2005. Un ressortissant turc, né en 1981, est inscrit sur le registre d’état civil comme de sexe féminin, mais se considère depuis son jeune âge comme appartenant au sexe opposé. En 2005, il saisit le tribunal de première instance en vue d’obtenir l’autorisation de recourir à une opération de conversion sexuelle. Demande qui lui a été refusée au motif qu’il ne remplit pas la condition préalable d’infertilité posée
par l’article 40 du code civil national. En 2008, la CEDH est saisie. Le requérant soutenait que l’article 40 entrait en violation avec l’article 8 de la Convention (Droit au respect de la vie privée et familiale) : l’impossibilité d’avoir accès à une intervention le priverait définitivement de toute possibilité de résoudre la contradiction à laquelle il se heurte entre la perception avérée de son identité sexuelle et la réalité biologique.
La Cour lui donne raison. Elle conclut en effet à la violation de l’article 8 et « ne s’explique pas pourquoi l’incapacité de procréer devrait être établie pour une personne désirant changer de sexe » comme préalable à l’autorisation.
Si le droit à « l’autodétermination » des transsexuels n’a pas été étendu à celui de rester marié en cas de conversion, la présente solution marque une évolution en la matière et obligera nécessairement les Etats à repenser la question de bout en bout. En effet, alors que la CEDH se trouve en principe limitée, notamment sur les questions de société, par le manque de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe, comme c’est le cas par exemple sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, elle réfute ici la nécessité d’un tel consensus, comme elle l’avait déjà affi rmé dans la décision Goodwin.
Reste qu’on ne saurait déduire de cette décision qu’elle interdit dorénavant toute restriction préalable au changement de sexe. Tout État, comme la France, peut donc à bon droit continuer d’imposer à l’individu de prouver médicalement son syndrome de transsexualisme, ce qui, en toute hypothèse, oblige encore le recours à la psychothérapie.