La décision que l’employeur peut être amené à prendre à la suite de l’avis du conseil de discipline ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.
Le directeur d’une agence bancaire a été licencié pour faute grave en raison d’agissements de harcèlement sexuel. L’article 13 de la convention nationale du Crédit agricole prévoit une procédure disciplinaire particulière, selon laquelle, avant toute mesure disciplinaire, l’employeur a l’obligation de recueillir l’avis d’un conseil de discipline. Cet avis doit-il être communiqué au salarié avant l’entretien préalable au licenciement ? La non-communication constitue-t-elle un manquement au regard du respect des principes du contradictoire et des droits de la défense du salarié ?
En l’espèce, l’audience disciplinaire avait eu lieu après l’entretien préalable au licenciement. Le salarié n’a donc pas eu connaissance de l’avis avant son entretien et n’a donc pas pu organiser sa défense en conséquence.
La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel et estime que « la décision que l’employeur peut être amené à prendre à la suite de l’avis du conseil de discipline ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement ; que dès lors le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que l’avis du conseil de discipline soit communiqué au salarié avant la notification de son licenciement ».
La solution semble logique dans la mesure où il est de jurisprudence constante que l’employeur n’est tenu de préciser dans la lettre de convocation à l’entretien préalable que l’objet de la convocation et non les griefs allégués contre le salarié. Cependant, la Cour a admis que la consultation d’un organisme chargé en vertu d’une disposition conventionnelle de donner son avis sur la mesure disciplinaire envisagée par l’employeur constitue une garantie de fond. Ainsi, le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté et ait rendu son avis selon une procédure régulière ne peut avoir de cause réelle et sérieuse. Sans pour autant reconnaître l’obligation de respecter les droits de la défense pour le salarié, la Haute juridiction admet que la consultation est une garantie de fond.
La Cour semble aujourd’hui reléguer le principe du respect du contradictoire et des droits de la défense aux procédures juridictionnelles qui seront toujours susceptibles d’accueillir le conflit. Il ne pèse donc pas sur l’employeur une obligation de respecter de telles injonctions. D’ailleurs, par le passé, la Cour a clairement rappelé que ce n’était pas son rôle en condamnant un employeur qui avait attendu le prononcé de la condamnation par le juge prud’homal d’un salarié, auteur de faits de harcèlement, pour le licencier. L’attente de la décision prud’homale permet, en effet, à l’employeur de s’assurer que le salarié a bien commis les faits. Or, pour licencier, une simple cause réelle et sérieuse suffit.
Toutefois, on peut déduire du premier attendu du présent arrêt, selon lequel l’article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole « ne prévoit pas la transmission au salarié, avant la notification de son licenciement, de l’avis du conseil de discipline », que, si une convention collective prévoit une disposition en ce sens, alors la transmission de cet avis au salarié sera considérée comme une garantie de fond et sanctionnée par l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Tout dépend donc de l’importance donnée à l’avis du conseil de discipline par la convention collective.
Le salarié a ici été licencié pour faute grave en raison de faits de harcèlement sexuel à l’égard de certaines de ses collègues. Il conteste son licenciement, arguant de ce que l’employeur est resté sans réaction lorsqu’il a eu connaissance des agissements susceptibles de justifier une mesure disciplinaire, et ne saurait donc se prévaloir ultérieurement de faits de même nature pour motiver son licenciement. Il estime également que l’enquête interne aurait dû être diligentée dans le respect du principe du contradictoire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié au motif que, « si l’article L. 1232-3 du code du travail fait obligation à l’employeur d’indiquer au cours de l’entretien préalable au salarié dont il doit recueillir les explications le motif de la sanction envisagée, il ne lui impose pas de communiquer à ce dernier les pièces susceptibles de justifier la sanction ». La cour d’appel ayant constaté « sur la base de témoignages nominatifs et précis que le salarié avait eu, à l’égard de plusieurs salariées, des propos déplacés à connotation sexuelle et exercé sur l’une d’elles des pressions pour tenter d’obtenir des faveurs de nature sexuelle », elle a, « quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur, lequel est tenu à une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, caractérisé un harcèlement sexuel constitutif d’une faute grave ».
Il est admis depuis longtemps que les faits de harcèlement sexuel constituent « nécessairement une faute grave ». Pour autant, une telle faute peut-elle encore être caractérisée lorsque l’employeur a toléré, par son inaction, les agissements du harceleur ? En théorie, la qualification de faute grave serait difficile à admettre, puisque cette dernière se définit comme la faute rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et que l’employeur qui a fermé les yeux pendant un certain temps a, de facto, maintenu le salarié à son poste.
Un obstacle à la qualification de faute grave est directement contrebalancé par l’obligation de résultat en matière de santé et sécurité des travailleurs faite à l’employeur, obligation rappelée en l’espèce. Au regard de celle-ci, on peut se demander si l’employeur n’a pas l’obligation d’agir pour faire cesser le harceleur, si besoin par le licenciement (V., en ce sens, l’article
L. 1152-5 du code du travail qui dispose que « tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire »).
En l’espèce, les faits s’étaient poursuivis après que l’employeur en avait eu connaissance. C’est pourquoi la Cour considère que la faute grave pouvait être retenue « quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur, lequel est tenu à une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ». L’employeur peut donc sanctionner la répétition de faits de même nature qu’il a, dans un premier temps, ignorés.